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«En tant que soignante et soignant, nous sommes en permanence en train d’apprendre et d’enseigner»
De son arrivée aux HUG en 1984, comme jeune interne en médecine interne et en pneumologie, jusqu’à sa retraite, fin 2024, au poste de directeur médical qu’il a occupé pendant près de dix ans, le Pr Arnaud Perrier a marqué les HUG par son action, sa vision, son esprit scientifique et son enseignement. Durant ses 40 années d’engagement, il n’a eu de cesse d’humaniser les HUG en mettant toujours la patiente et le patient au centre. Il a activement participé à l'élaboration et à la mise en œuvre de la réforme du programme d'études prégraduées de la Faculté de médecine de Genève. Ce souci constant de transmission et d’accompagnement de l’évolution de la profession est l’un des nombreux héritages qu’il lègue aux HUG, qui lui expriment toute leur reconnaissance pour son immense contribution.
Quelle place occupe l’enseignement à vos yeux ?
L’enseignement est enraciné dans notre travail clinique de tous les jours. En tant que soignante et soignant, nous sommes en permanence en train d’apprendre et d’enseigner. C’est cela qui fait d’un hôpital universitaire comme le nôtre un lieu privilégié et un environnement de travail extraordinaire. Cet enseignement peut être formalisé, lors de séminaires ou de colloques par exemple, mais très souvent il est informel. Chaque visite au lit du malade est l’occasion d’échanger et de se questionner. Nous sommes dans tous les instants dans ce partage des savoirs. C’est sans conteste l’un des éléments qui m’a fait rester aux HUG si longtemps, cette passion pour la formation, qu’elle se fasse sur les bancs de l’Université ou au quotidien dans l’action au service des patientes et patients.
En 1994, vous avez participé à la réforme des études de médecine. En quoi consistait-elle ?
Cette réforme a consisté en une refonte en profondeur du curriculum. Elle a instauré la notion d’apprentissage en contexte et de manière intégrée, notamment à travers une nouvelle méthode d’enseignement d’une grande richesse, l’apprentissage par problème, fondé sur l’activation des connaissances préalables. Nous avons également introduit à l’occasion de cette réforme la communication en milieu clinique. Cette dernière est essentielle pour que les patientes et patients comprennent les enjeux de situations parfois complexes, puissent s’exprimer et prendre, avec les soignantes et les soignants, les bonnes décisions les concernant. Au-delà des aspects techniques, il s’agit d’une communication qui se passe dans un espace relationnel et émotionnel. Il faut pouvoir percevoir et verbaliser ces émotions, et en parler si le patient ou la patiente le désire. Tout cela s’apprend, c’est pourquoi nous avons développé un programme de communication très structuré de la deuxième à la dernière année d’études. Parmi les nombreux autres changements induits par cette réforme, nous avons privilégié l’exposition clinique précoce afin que les étudiantes et étudiants soient au plus près de la réalité du terrain.
Quelles ont été vos plus grandes sources de satisfaction dans la transmission de savoir ?
Dans une carrière de médecin, il existe ces moments où l’on découvre quelque chose – une nouvelle notion, un nouveau concept –, ces moments que nous pourrions qualifier de moments « waouh ». De vivre ces expériences très fortes, et de voir des personnes en formation les vivre à leur tour, c’est une immense source de joie. Tout comme de voir ces jeunes collègues grandir, acquérir de nouvelles compétences et de nouveaux enthousiasmes. C’est la plus grande satisfaction que nous pouvons avoir comme médecin et comme formateur. Sans oublier bien sûr la formation aux patientes et aux patients.
Qu’entendez-vous par la formation aux patientes et patients ?
En médecine interne, nous soignons beaucoup de patientes et patients avec des maladies chroniques, qui doivent la plupart du temps agir comme leur propre médecin. Un patient diabétique, par exemple, effectue les 95% du traitement lui-même. Souvent, les patientes et patients doivent emmagasiner beaucoup de notions et devenir compétents pour rester autonomes. Nous menons donc beaucoup de formation à leur égard aussi, ce que l’on appelle l’éducation thérapeutique. On y retrouve les mêmes principes pédagogiques et la même notion de partage. De manière plus générale, les soignantes et soignants sont formés pour être capables de manier les instruments de communication qui permettent aux patientes et patients de se sentir en confiance, entendus et soutenus.
Quels sont les grands enjeux de l’enseignement pour les années à venir ?
Le premier est de continuer à faire évoluer les méthodes pédagogiques afin de favoriser la naissance de l’esprit critique, qui est crucial dans l’identité du médecin. Il y a bien sûr aussi la question de l’intelligence artificielle. Cette révolution est là, les étudiantes et étudiants s’en servent déjà, et elle peut certainement nous permettre d’utiliser encore plus efficacement nos bases de connaissance. Il faut donc l’intégrer dans l’apprentissage des médecins, mais sans qu’il y ait de perte de la capacité d’évaluer la pertinence et la validité de l’information. L’utilisation de ces outils extrêmement puissants, couplée à la préservation de l’esprit critique, est sans doute l’enjeu clé des dix ou quinze prochaines années en matière d’enseignement, que ce soit au niveau prégradué ou postgradué.
Quel est le moteur principal de votre engagement ?
Je crois que c’est avant tout l’intérêt pour l’humain. La passion de transmettre vient de là. Transmettre, c’est permettre à d’autres humains de grandir et de trouver leur chemin, qu’il s’agisse de soignantes et de soignants ou de patientes et de patients. L’humain recèle une telle richesse, chaque individu étant différent. Cela suscite un deuxième moteur essentiel à mes yeux, à savoir la curiosité, l’envie de connaître l’autre, de comprendre comment il ou elle fonctionne et de lui donner les outils de son propre accomplissement.